03/09/2008
UNE EMEUTE DEVANT LA MAIRIE DU NEUVIEME ARRONDISSEMENT DE PARIS
PAR BERNARD VASSOR
A l'angle de la rue Drouot et du boulevard des Italiens, l'empereur et l'Impératrice prennent un bain de foule. C'est la fin du second empire.
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Le complot des blouses blanches :
Depuis un certain temps, des manifestations étaient déclenchées par une bande mystérieuse d'hommes portant tous une blouse blanche. Armés de maillets, environ une cinquantaine de citoyens parcouraient les rues de Paris en vociférant. Il entraînaient drerrière eux des parisiens opposés à l'empire. Le scénario était toujours le même : "Les blouses blanches" cassaient les vitrines des magasins à l'aide de leurs marteaux sur leur passage, renversaient les guérites et les baraques en bois pour monter de mini-barricades. Quand la police intervenait et chargeait, la bande de blouses blanches se volatilisait et laissait aux prises les manifestants et les policiers qui semblaient prévenus de la tenue de ces désordres organisés. Jusqu'à aujourd'hui, je ne sais toujours pas qui avait formé ces groupes de provocateurs. Les archives de la police sont muettes à ce sujet.
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L'émeute vue de la fenêtre du deuxième étage du magasin de costume de l'Opéra :
Ce jour là, un vendredi, en mai 1870, on jouait Faust, mademoiselle Caroline Carvalho chantait
"Ah !je ris de me voir
Si belle en ce miroir."
De cette fenêtre, située face aux portes de la mairie, on pouvait distinguer le boulevard noir de monde.
Un témoin raconte :
"Le boulevard...noir comme de l'encre...une forêt de têtes,...les voitures au pas...beaucoup de blouses blanches...pas un sergent de ville. Tout à coup, une grande houle, c'est un régiment de cuirassiers qui arrive lentement de la Madeleine. Il passe, et sur le macadam on entend le lourd piétinement de cinq cents chevaux. Les casques et les cuirasses brillent comme de l'argent. (...) Grande clameur du côté du boulevard...la Marseillaise !...on chante la Marseillaise.(...)
Sur les boulevards la foule augmente. Les cris, les huées, les chants et les sifflets vont leur train. La porte de la mairie est fermée. (..) Un grand brouhaha dans la rue. Les portes de la mairie s'ouvrent et nous apercevons toute une armée qui se tient entassée, infanterie et cavalerie, dans la cour de l'hôtel Aguado. Appels de clairons...roulements de tambour...commandements. Une escouade de sergent de ville sort de la mairie et cherche à dégager la rue Drouot. La foule cédait lentement, quand tout à coup, par la grand'porte de la mairie*, s'élance au trot, se jetant brusquement sur le boulevard, un escadron de gardes de Paris. Les gros chevaux de la garde municipale sont admirables dans ce tournant (...)"
Sur le boulevard et à l'entrée de la rue Drouot, les sergents de ville regardent les rassemblements, et les rassemblements les sergents de ville. De temps en temps, un coup de sifflet ou un cri : Vive Rochefort !
A un commandement, les sergents de ville se mettent en mouvement et précédés par le commissaire de police et les deux tambours, vont jusqu'au boulevard. Trois roulements. Les groupes sans se disperser s'éloignent et se tiennent à distance.
Après le troisième roulement, les sergents de ville s'élancent, et, cinq minutes après commençait le défilé des gens "empoignés", qu'ils soient émeutiers ou curieux.(..) Autant de prisonniers, autant de scènes curieuses pénibles ou burlesques (...) Un brave homme qui sur le bras droit portait un gros paquet et sur le bras gauche un petit chien blanc, se lamente :"-Mais je n'avais pas emporté tout ça pour faire l'émeute !" Un jeune homme en redingote et un garçon de café essaient de regimber, et sont aussitôt jetés violemment dans la cour de l'hôtel Aguado (...)
Sur le boulevard et dans la rue, tout se préparait pour une nouvelle razzia. Un à un les sergents de ville, débarrassés de leurs prisonniers, sortaient de la mairie. Les choses suivirent une marche régulière. Les cent sergents et les deux tambours, le commissaire de police avec son écharpe furent réunis devant la porte de la mairie, trois roulements de tambour réglementaires et les groupes furent dispersés sans ménagement La seconde fournée de prisonniers fut infiniment moins paisible et résignée que la première"
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"La résistance est contagieuse aussi bien que la soumission.
La bataille commençait devant la boutique du marchand de vin, qui seule était restée ouverte entre le boulevard et la rue Rossini.
Un tout jeune homme, tête nue, paletot gris déchiré se laissa tomber sur le trottoir et, quand les agents voulurent le relever, fit des pieds et des mains une furieuse détente. La colère gagna bientôt parmi la petite troupe de prisonniers, et ce fut pendant quelques instants une violente bagarre. Chapeaux, casquettes et tricornes roulant à terre; épées tordues au fourreau; vêtements en lambeaux; cris, jurements, imprécations...une femme surtout, avec des clameurs perçantes, s'était jetée en pleine mêlée, s'accrochant aux sergents de ville et cherchant à tirer de leurs mains un homme qui, de son côté se débattait de toutes ses forces et donnait autant de coups qu'il en recevait. Les agents tiraient à eux par la blouse et la chemise, sortant du pantalon, découvrait à nu le ventre et la poitrine velue. Autour de cette lutte enragée, une foule qui criait, huait, hurlait et sifflait les agents."
(...)Un quart d'heures après, pendant qu'on cà se battre et à s'assommer sur les trottoirs de la rue tDrouot, la soirée de l'Opéra se faisait avec son éclat et son élégance accoutumée et les valets de pied faisaient avancer les voitures qui défilaient sous la grande marquise du Théâtre."
Arthur Ranc, qui deviendra maire du neuvième arrondissement six mois plus tard pendant le siège de Paris et qui sera élu délégué à la Commune de Paris, assista à cette curieuse scène.
*La porte cochère à double battants de la mairie, dans le style 1830 est en bois et panneaux de fonte ajourée.
13:15 Publié dans HISTOIRE DE PARIS | Tags : caroline carvalho | Lien permanent | Commentaires (0) | | | | Digg
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