02/03/2007
Théophile Gautier
Par Bernard Vassor
Un article du grand écrivain dans le Journal Officiel de Versailles. Le 23 mai 1871, les troupes du premier corps du général Ladmirault, s'engagent dans les rues du Mont-Cenis et des Poissonniers. A une heure de l'après-midi, le drapeau tricolore flotte sur la Tour Solférino, et les canons sont aux mains de l'armée. Les communards sont parfois fusillés, parfois conduits dans une cour prévôtale improvisée de la rue des Rosiers, siège du 61° bataillon de la Garde nationale. Certains insurgés après un procès sommaire,sont conduits un peu plus haut et fusillés. D'autres sont rassemblés et conduits à Satory sous escorte de la cavalerie. Parmi les prisonniers, le père Tanguy, est arrêté rue du Mont-Cenis. La température était ce jour là de trente degrés. Gautier, sur la route de Versailles assiste avec délectation au passage de ceux qu'il appelle le troupeau des Barbares modernes :
"Il faisait une chaleur à mettre les cigales en nage... le soleil versait sur la terre des cuillérées de plomb fondu. Ces malheureux, amenés des portes de Paris par des hommes à cheval qui les forçaient involontairement de presser le pas, fatigués du combaten proie à d'affreuses transes, haletants, ruisselants de sueur, n'avaient pu aller plus loin, et il avait fallu leur accorder un instant de repos. Leur nombre pouvaits'élever à 150 ou 200. Ils avaient du s'accroupir ou se coucher par terre comme un troupeau de boeufs que leur conducteur arrêtent à l'entrée d'une ville. Autour d'eux, les gardiens formaient le cercle, accablés comme eux de chaleur, se soutenant à peine sur leurs montures immobiles, et s'appuyant la poitrine au pommeau de leur selle....Ces captifs étaient devenus des prisonniers barbaares, Daces, G^tes, Hérules, Abares, comme on en voit dans les bas-relifs des arcs de triomphe et les spirales des colonnes trjanes. Ils n'avaient plus de costume spécial désignant une nationalité ou une époque. Un pantalon, une blouse ou une chemise,, tout cela collé au corps par la sueur ne les habillait pas, mais les empêchaient d'être nus ... Plusieurs s'étaient roulés du linge sur la tête pour se préserver du soleil, car on enlève leur coiffure aux prisonniers, afin de les rendre reconnaissable parmi la foule, s'ils essayaient de s'enfuir. D'autres avaient garni leurs pieds meurtris, de chiffons retenus par des cordelettes, qui leur donnait un aspect de Philoctète dans son lit.... Parmi ces prisonniers, il y avait quelques femmes assises sur leurs articulations ployées à la manière des figures égyptiennes dans les jugement funèbres et vêtues de haillons terreux, mais donnant des plis superbes...Une soif ardente, inextinguible, brûlait ces misérables, altérés par l'alcool, le combat, la route, la chaleur intense, la fièvre des situations extrèmes et les affres de la mort prochaine...
Il s haletaient et pantelaient comme des chiens de chasse, criant d'une vois enrouée et rauque, que ne lubrifiat plus la salive :-"De l'eau ! de l'eau ! de l'eau !" Ils passaient leur langue sèche sur leurs lèvres gercées, machaient de la poussière entre leurs dents et forçaient leurs gosiers arides à de violents et inutiles exercices de déglutition. Certes, c'étaient d'atroces scélérats, des assassins, des incendiaires, peu interesssants à coup sûr; mais, dans cet état, des bêtes même eussent inspiré la pitié. Des âmes compatissantes apportèrent quelques sceaux d'eau. Alors, toute la bande se rua pêle--mêle, se heurtant, se culbutant, se trînanant à quatre pattes, buvant à longues gorgées, sans faire attention aux horions qui pleuvaient sur eux. (...)
Le journal le Siècle du 30 mai mentionne :
"Des femmes, non pas des filles publiques, mais des femmes du monde,, insultant les prisonniers sur leur passage, et même les frappant avec leur ombrelle"
10:40 Publié dans Les écrivains | Lien permanent | Commentaires (0) | | | | Digg
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