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28/02/2007

TORTONI, LE BOULEVARD EN 1830 VU PAR ALFRED DE MUSSET

Par Bernard Vassor

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Ce texte inédit du vivant de Musset, est très peu connu. Tortoni en ce temps là était le rendez-vous, de toutes les élégangances. Tous les dandys venaient parader. Les jeunes littérateurs, les lions, les cocodès, les ambitieux, les grisettes trouvaient là un terrain de chasse. On pouvait croiser un jeune avocat de très petite taille, dandy complètement ridicule avec une énorme cravate bleue qui rendait encore plus dispropotionnée sa silouette. C'était Adolphe Thiers, avec "ses frères provençaux" Mignet et Barthélemy, Balzac enquétait déjà sur les moeurs de ces gens. Voici ce qu'écrivit Alfred de Musset :

"L'espace compris entre la rue Grange-Batelière et celle de la Chaussée d'Antin n'a pas comme vous savez plus d'une portée de fusil de long. C'est un lieu plein de boue en hiver et de poussière en été. Quelque marroniers qui y donnaient de l'ombre ont été abbatus à l'époque des barricades. Il n'y reste pour ornement que cinq ou six  arbrisseaux et autant de lanternes. D'aiileurs, rien qui mérite l'attention, et il n'existe aucune raison de s'asseoir là plutôt qu'à toute autre place du boulevard qui est aussi log que Paris. Cet espace souillé de poussièe et de boue est cependant un des lieux les plus agréables qui soient au monde. Le Parisieny vit, le provincial accoure, l'étranger qui y passe s'en souvient comme la rue de Tolède 0 Naples, comme autrefois la Piazetta à Venise. Restaurants, cafés, théâtres, maisons de jeu, tout y passe; on a cent pas à faire; l'univers est là. De l'autre c^té du ruisseau, ce sont les Grandes Indes. 

Vous ignorez surement les moeurs de ce pays étranger qu'on a nommé le boulevard de Gand. Il ne commence guère à remuer qu'à midi. Les garçons de café servent dédaigneusement quiconque y déjeune avant cette heure. C'est alors qu'arrivent les Dands; ils entrent à Tortoni par la porte de derrière, attendu que le perron est envahi par les barbares, c'est-à-dire les gens de la Bourse. Le monde Dandy, rasé, coiffé déjeune jusqu'à deux heures, à grand bruit, puis s'envole en bottes vernies. Ce qu'il fait de sa journée est impénétrable : c'est une partie de cartes, un assaut d'armes, mais rien n'en transpire au dehors et je ne vous le confie qu'en secret...A cinq heures changement complet, tout se vide et reste désert jusqu'à six heures. Les habitués de xhaque restaurant paraissent peu à peu et se dissipent vers "leur mondes planétaires". Le rentier retiré, amplement vêtu, s'achemine vers le Café Anglais avec son billet de stalle dans sa poche.Les courtiers bien brossés, le demi-fashinnable vont s'attabler chez Hardy; de quelques lourdes voitures de remise débarquent de longues familles anglaises, qui entrent au Café de Paris, sur la foi d'une mode oubliée. Les cabinets du Café Douix voient arriver deux ou trois parties fines, visages joyeux mais inconnus Devant le Club de l'Union, illuminé, les équipages s'arrêtent; les dandys sautillent ça et là avant d'entrer au Jockey.A sept heures, nouveau désert. Quelques journalistes prennent le café pendant que tout le monde dîne. A huit heures et demie, fumée générale; cent estomacs digèrent, cent cigares brûlent, les voitures roulent, les bottes craquent, les cannes reluisentles chapeaux sont de travers, les chevaux caracolent, le monde dandy s'envole de nouveau.Ces messieurs vont au théâtre et les dames pirouettent. La compagnie devient tout à fait mauvaise. On entend dans la solitude le crieur de journal du soir. A onze heures et demie les spectacles se vident; on se casse le cou chez Tortoni pour prendre une glace avant de s'aller coucher. Il s'en avale mille dans une soirée d'été.  A minuit, un dandy dégingandé reparaît un instant; il est brisé de sa journée; il se jette sur une chaise, étend son pied sur une autre, avale un verre de limonade en baillant.Tout s'éteint. On se sépare en fumant au clair de lune. Une heure après, pas une âme ne bouge, trois ou quatre fiacres patients attendent seuls devant le Café Anglais des soupeurs attardés qui n'en sortiront qu'au jour. 

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